Critique Ciné – L’Odyssée de Pi, Un tigre nommé Richard Parker

Depuis 2009, la 3D stéréoscopique est partout au cinéma… Souvent pour de mauvaises raisons, pour justifier une augmentation du prix du billet, ou simplement pour rendre spectaculaire des films sans grand intérêt. Ce que James Cameron voulait, à savoir faire de la 3D un élément de narration n’a pas vraiment réussi. Pour autant, c’est un procédé jeune, qui devrait continuer à faire partie de nos vies de spectateurs. Mais après la folie des premières années, on arrive à un statut quo relatif. Les films d’animations surtout continuent massivement d’utiliser le procédé, tout en restant regardable sans celui-ci.

Si la 3D doit devenir un élément de la narration, un vrai support à l’histoire, elle doit être exceptionnelle. Elle doit être nécessaire, et justifiée dans son utilisation par un besoin identifié lors de l’écriture du scénario. Elle doit du coup être indispensable pour apprécier l’histoire racontée dans son ensemble. C’est un peu cela que l’on retrouve dans le dernier film d’Ang Lee.

L’Odyssée de Pi est tiré du bestseller « L’histoire de Pi » de Yann Martel, en voici le synopsis :

Après une enfance passée à Pondichéry en Inde, Pi Patel, 17 ans, embarque avec sa famille pour le Canada où l’attend une nouvelle vie. Mais son destin est bouleversé par le naufrage spectaculaire du cargo en pleine mer. Il se retrouve seul survivant à bord d’un canot de sauvetage. Seul, ou presque… Richard Parker, splendide et féroce tigre du Bengale est aussi du voyage. L’instinct de survie des deux naufragés leur fera vivre une odyssée hors du commun au cours de laquelle Pi devra développer son ingéniosité et faire preuve d’un courage insoupçonné pour survivre à cette aventure incroyable.

L’Odyssée de Pi est certainement un des films les plus immersifs qu’il m’ait été donné de voir, on regarde le passage à l’âge adulte de Piscine Molitor Patel (Pi Patel pour les intimes) comme si on participait à l’aventure. On retrouve ici un des thèmes qu’Ang Lee affectionne, mais on retrouve aussi les questionnements sur l’identité. Sur sa place dans le monde. Le jeune Suraj Sharma a lui non seulement su rendre physiquement les changements de son personnage, mais est crédible dans sa recherche de croyance. Car après tout, c’est presque cela le vrai sujet du film… Comment croire ? Ce voyage onirique, qui transfigure la réalité du drame que le jeune indien a vécu est peut-être l’explication qu’il faut… Bref, je ne saurais aller plus loin sans dévoiler de secret sur le scénario.

La photo du film est très réussie même si les images de synthèses sont parfois peu crédibles, la faute à un budget grandement impacté par les coûts techniques engendrés par la 3D. Cette 3D justement, qui est tout simplement indispensable, pour rendre cette histoire réellement magique, digne d’un rêve, mais aussi plus crédible par moment. C’est la première fois en tout cas (même si Avatar avait montré la voie) que je la trouve nécessaire à ce point.

Je conseille donc ce film, qui je le rappelle sera en salle chez nous le 19 décembre. Et pour une fois, j’impose la 3D, car sans cette dernière le film risque de manquer cruellement de punch. Et les passages un peu faillible niveau image de synthèse risque d’être encore plus visible.

A la fin de la projection, nous avons eu la chance d’assister à une Master Class d’Ang Lee, dont je vous livre les questions les plus pertinentes (selon moi) dans la suite !

Interviewer : « Que pensez-vous de ce qu’à dit James Cameron à propos de votre film, à savoir que c’était une révolution dans l’histoire de la 3D au cinéma ? »

Ang Lee : « Eh bien, au départ, mon égo a trouvé cela très bien… (il rit) Mais je pense malgré tout que nous n’en sommes qu’au début de la 3D, et que nous ne sommes pas assez nombreux à avoir essayé de l’utiliser comme soutien de la narration. Grace à la 3D, on peut partager plus de choses avec le public. Dans le cas de ce film, cela permet une distance encore plus grande entre les deux versions de l’histoire de Pi Patel. J’espère en tout cas que cette utilisation de la 3D se généralisera. »

I : « Pourquoi avoir choisi ce jeune indien, Suraj Sharma, parmi tous ceux que vous aviez vu ? »

A.L. : « L’histoire telle qu’elle a été écrite nécessitait un indien, du coup, nous avons vu plus de 3000 jeunes indiens. Mais dès que j’ai vu Suraj, j’ai vu Pi en lui. Il avait ce regard curieux qui était nécessaire à l’histoire. Pour le tester je lui ai fait lire la version « réaliste » de l’histoire de Patel, puis je lui ai demandé de me raconter sa version. C’est là que j’ai su que c’était lui. »

I : « Ce personnage en rejoins d’autre dans votre filmographie, car comme les autres, il change au long de l’histoire, est-ce quelque chose que vous recherchez ? »

A.L. : « C’est effectivement un de mes sujets favoris. Car après tout, pendant notre vie, on ne fait que courir après ce changement. C’est l’essence même de notre vie. J’aime chercher au travers de différentes histoires, le sens de ce changement que nous impose la vie. »

I : « Vous avez un autre thème que vous abordez dans vos films, celui de l’identité ? »

A.L. : « Mon éducation est intimement lié au confucianisme… J’ai besoin de chercher une sensibilité, ce qui est bien ou non. C’est ce qui m’intéresse. Via l’histoire de la famille de Patel, je cherche à mettre mon personnage devant le challenge ultime. Celui de choisir sa propre voie… Sa propre vérité. »

I : « Est-ce que dans un sens, Tigre et Dragon était un prélude technique, un premier essai avant Pi ? »

A.L. : « Dans un sens, je pense que chaque film amène le suivant… On essaye malgré tout à chaque fois de relever de nouveau défi. Mais ce que je recherchais surtout avec L’Odyssée de Pi, c’était de m’éloigner de quelque chose de trop écrit. Je voulais rendre au cinéma son côté visuel, son côté abstrait. Je recherche toujours cette pure expérience visuelle, mais je n’y suis pas encore… »

I : « On sent dans le film que le personnage de Pi à une frustration de ne pas avoir de réponse, êtes-vous également parfois frustré ? »

A.L. : « Il ne peut pas vraiment y avoir de film sans frustration… Même si je ne porte pas en moi de colère, j’essaye de rendre à l’écran la colère de Pi, qui donne tout pour avoir une réponse de quelqu’un, mais qui n’obtient rien. Aucun de mes films ne parlais de religion, c’est ce qui m’a intéressé dans cette histoire. »

I : « Est-ce que l’histoire de Pi vous renvoi à votre propre histoire, est-ce que votre relation père fils transparait dans ce film ? »

A.L. : « Vous savez, je n’ai jamais pu dire au revoir à mon père. Et cela a forcément une influence dans mes films, celui-ci ne fait pas exception. En définitive, ce que je fais dire à Pi vers la fin est ce que j’aurais voulu dire à mon père. A savoir que je le remerciais pour ce qu’il m’a appris. »

I : « Il y a dans ce film des changements de formats surprenant, comme l’expliquez-vous ? »

A.L. : « Depuis que j’ai commencé à faire du cinéma, j’ai toujours voulu mixer les formats. Pour renforcer tel ou tel passage. Je l’avais d’ailleurs dans Tigre et dragon, ou les scènes de combats aériens étaient en format resserré et les scènes dans le désert en 1.85 (format large anamorphosé). Ici cela renforce par moment l’impression de profondeur induit par la 3D. »